© Charlotte Picard |
Jean-Claude ELOY
19 février 2011 – FRAC Lorraine, Metz.
« L’expérience, lorsqu’elle atteint le degré auquel elle est véritablement expérience, est une forme de vitalité plus intense. Au lieu de signifier l’enfermement dans nos propres sentiments et sensations, elle signifie un commerce actif et alerte avec le monde. A son plus haut degré, elle est synonyme d’interpénétration totale du soi avec le monde des objets et des événements. »
Sur le papier :
Concert de 4 heures, couché, sans applaudissement.
Dans les faits :
4 heures de musique (voire plus : une quarantaine de minutes d’installation du public en son et du son toujours jusqu’au départ du dernier spectateur : nous dépassons les 5 heures) Le public était couché, ou affalé, ou assis… selon son envie, son dos ou l’heure. Jean-Claude Eloy était à la diffusion / spatialisation (8 hauts parleurs formant un carré + un caisson de basse) assisté d’Eric Cordier. Et il n’y eut pas d’applaudissement, plutôt des sorties successives de spectateurs émergeants.
Entre les deux, la musique, l’expérience :
"Pachinko"
Son d'introduction
durée : quelques minutes à infini
La musique est là, dès l’entrée dans la salle, une simple note au départ, puis beaucoup de sons différents.
I - "Tokyo"
La Voie des sons quotidiens
(Du concret à l'abstrait)
durée : env. 50'
© Charlotte Picard |
Musique concrète, musique électroacoustique. Musique, bruits. La ville à l’extérieur s’y mêle. Les bruits [parasites] des spectateurs surpris, étonnés, amusés, énervés, ou simplement juste bruyants, ignorant le concept d’écoute s’y mêlent aussi. Il suffit de peu de ceux là (2 ? 3 ?) pour n’entendre que leurs chuchotis. Puis ils partent. La musique reprend le premier pas sonore, reprend le pas dans notre esprit. J’aurais dû oublier ma montre pour perdre réellement la notion du temps, dans le noir, dans cette ambiance, ces ambiances sonores tokyoïtes. Mais non. Montre avec aiguilles phosphorescentes. Dommage.
Première heure parasitée :
Les spectateurs à doudounes bruissantes, la montre et 30 minutes à peine après le début : premiers ronflements.
On est fatigués en février.
II - "Fushiki-é"
("Vers ce qui n'est pas connaissable")
La Voie des sons de méditation
(De l'abstrait au concret)
durée : env. 75'
Deuxième heure longue.
Presque de l’ennui. Compter les dizaines, les demi-douzaines de minutes. Se demander pourquoi.
Pourquoi on est là. Pourquoi il a composé ça ? D’ailleurs est-ce réellement « composé » ?
Parce que bon… Enfin… ça va passer. Essayer presque de dormir, échouer : la musique est trop présente.
Elle en deviendrait énervante.
Elle en deviendrait énervante.
Deuxième heure longue.
* "Mokuso" ("Contemplation")
Son d'immobilisation
durée : 2'- 3' à infini
Et puis,
III - "Banbutsu-no-Ryudo"
("Le flot incessant de toutes les choses")
La Voie des métamorphoses du sens
(Du concret au concret)
durée : env. 30' à 33', ou 40' à 43' (suivant version)
Et puis comprendre,
IV - "Kaiso" ("Réminiscence")
La Voie du sens au-delà des métamorphoses
(De l'abstrait à l'abstrait)
durée : env. 40'
Trois et Quatre :
Je ne sais plus.
Comprendre physiquement la musique. Dans l’état de corps dont elle m’imprègne. Il s’est passé autre chose, sûrement. De l’ordre de l’expérience. Oui. Interpénétration entre soi et le monde. Entre moi et la musique. Puisque le temps a disparu, il a bien fallu qu’il se passe quelque chose.
Comme si les secondes comptées pendant la deuxième heure disparaissaient. Impossible ? Peut être. Mais de cet ennui, je n’en ai qu’un seul souvenir : le souvenir d’avoir pensé « oh là, je m’ennuie ! oh ! ça ne fait que 1h10 ??? mais que vais-je devenir dans deux heures ??? »
Ensuite, je suis dans un flot. Un flot ininterrompu. Portée ? Sûrement. Ne me demandez pas. J’ai été transportée. Ailleurs. En dehors de moi, de la salle, du temps. Plus de problème de position, plus de montre, plus aucun parasite. Perdu, emportée. Expérience hors du temps. Pour finir sur une note continue dont on ne se rend pas compte tout de suite qu’elle est continue. Notre oreille est tellement à l’affût de sons, qu’elle cherche (et trouverait presque) des variations, des dissonances… quoique ce soit, un signe… mais rien. Une simple note qui dit au revoir, notre temps est clos.
Et là, descendre. Voir les gens qui ont partagé cette expérience avec nous. Nous sommes sortis du temps, un samedi soir. Il est 23 heures passées, mais nous sommes ailleurs. Lents, les yeux ne voulant pas de lumière, les oreilles refusant de parler, nous sommes en réveil, en éveil. Cette expérience est à tenter. Sortir du temps est quelque chose d’irréel.
Le disque est à vendre, pour une expérience sur canapé.
Charlotte Picard
NB : le « je » allait avec l’expérience. La critique analytique est incompatible avec l’intériorité de l’expérience.
Autant de je que de nous dans la salle.
Autant de je que de nous dans la salle.
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